jeudi 20 novembre 2008

Potosì, ville d'argent.

"Je suis en retard, en retard, en retard ! "
Non, ce n'est pas le lapin d'Alice au Pays des merveilles qui parle ici mais les bloggeurs-voyageurs que nous sommes, qui s'affolent devant le retard accumulé et qui ne manquent pas, quand les hasards du voyage les font se re-croiser, de comparer leur retard respectif.
Mais, faut avouer, c'est nous les pires ! En ce moment...
Alors rattrapons, voici note post sur Potosì, en Bolivie, où nous étions le ... 29 octobre dernier.

***
D'abord, quelques vues du paysage désertique, à perte de vue, que nous avons traversé, depuis Cochabamba, avant d'arriver en ville. Toujours la Cordillère des Andes, des montagnes, des plateaux... et le nouveau-venu pour nous : des canyons.







Peu de gens en France connaissent Potosì, pourtant cette ville du bout du monde est en grande partie à l'origine de notre économie moderne.
Dans cette ville se trouve une colline, baptisée "el Cerro Rico", la colline riche, car, entre le XVIème et le XVIIIème siècle, les Espagnols ont tiré d'ici suffisamment d'argent pour paver cinq fois une route Potosì-Madrid.
Et la couronne d'Espagne a si bien jeté cet argent par les fenêtres qu'il a surtout profité aux pays du Nord, dont la France. Il semblerait que cet apport, de près de 50 milliards de nos euros, est été l'élément indispensable à la constitution du capitalisme moderne, en constituant le " capital originel" ou "capital primaire" qui permettra la révolution industrielle et ce qui l'a suivi.

Bon, on fait "savants", là, mais c'est surtout l'historien Fernand Braudel qui a théorisé tout cela.
Et nous nous sommes contentés de lire le Routard.
Mais c'était assez étrange de se trouver ici alors que, partout dans le reste du monde, on ne parlait plus que de crise économique mondiale et de crash de la bourse.

En fait, tout vient de cette montagne, "el Cerro Rico". Pendant deux siècles, les Espagnols ont tué à la tâche des millions de travailleurs esclaves, quechuas ou noirs importés d'Afrique, pour en extaire ses richesses.
Aujourd'hui, ce sont des Boliviens qui s'exploitent eux-mêmes, en coopératives, pour moins de 2 euros par jour. L'argent, ou l'étain, ne vaut plus grand chose et c'est le gouvernement bolivien qui a rouvert les mines, fermées par le secteur privé faute de rentabilité, pour trouver du boulot aux milliers de mineurs mis au chômage ici.
El Cerro Rico...

Nous sommes allés faire une visite des mines. Avec le recul, nous avons regretté de ne pas avoir été plus exigeant avec l'agence sur les conditions de la visite et la part de l'argent reversé aux mineurs. C'est pas beaucoup et du coup, cela fait un peu zoo / voyeuriste, même si les mineurs ne semblaient pas gênés par notre visite.
Nous avons acheté avant la visite quelques "cadeaux" pour les mineurs...

... dynamite (en vente libre ici !), détonateurs, feuilles de coca ... et alcool local, qui titre 96 degrés !
Les mineurs tiennent au fond grâce à la coca et oublient un peu leurs conditions et les difficultés avec l'alcool.


A l'entrée de la mine se trouve la statue d'El Tio, divinité du sous-sol qui règne en ces lieux. Elle fût diabolisée par les Espagnols à des fins de propagande mais reste très respectée par les mineurs. La tradition veut que lui soit laissée des offrandes avant d'aller plus au fond, en gage de protection. Un peu de coca, une lichette d'alcool, une cigarette dans la bouche...



Pourtant fille et petite- fille de mineur, Sophie découvre la mine en Bolivie ...
On a quand même sur cette photo une dégaine admirable, non ?
Au fil des couloirs de la mine, nous découvrons un monde étrange, où les galeries sont vaguement étayées avec du bois de récup'...

... où les parois se décorent de concrétions bizarres dont on a oublié le nom et l'origine...
... et d'amiante aussi, mais ici, c'est le quotidien des mineurs, qui meurent tous de silicoses et de cancers de la plèvre, souvent avant 45 ans.

Et, chichement, de loin en loin, de petits filons d'argent, qu'on appelle les veines...

... et que les mineurs vont chercher, à l'ancienne, avec la barre à mine et à la dynamite.
Don André, patron de la coopérative qui exploite ce coin de la montagne. Aujourd'hui, il gagne moins de 2 euros par jour mais refuse de lâcher son coin. S'il part, il perd ses droit ici.
Et si jamais...

Evidemment ici, pas de marteau-piqueurs ou d'ascenseurs. On creuse à la pelle et à la pioche...

...et on descend au fond avec des treuils de fortune.



Pause-coca pour Alphonso...
Enfin, le minerai est sorti sur des chariots poussés par les mineurs (très jeunes, ceux-là)...
... puis trié et conditionné à l'extérieur.
Ce n'est pas un hasard si les mineurs constituent une partie importante du soutien au processus de changement d'Evo Moralès.

Derrière le chariot, les habitations offertes par l'Etat aux mineurs. Comme un petit air de coron...
En même temps, ici, on n'est pas loin de Germinal.

Au pied de cette montagne et à 4 000 m d'altitude (c'est la plus haute ville du monde!) se trouve celle qui fût la très riche cité de Potosi, à qui Charles Quint donna comme devise: "Je suis la riche Potosi, le trésor du monde, la reine des montagnes et la convoitise des rois."
Et dont Cervantès fit le maître-étalon de Don Quichotte, pour qui tout ce qui était riche ou admirable "valait un Potosì "!

Manière de voir que l'on retrouve dans l'expression francophone "c'est pas le Pérou", qui vient aussi d'ici, la ville, la Bolivie étant alors rattachée à la vice-royauté du Pérou, la région se nommant le Haut-Pérou.


Entre autres monuments admirables de la cité, nous avons visité le monastère Santa Théresa.

Monastère créé au 17ème, il reflète la richesse de la ville d'alors et de sa haute société, qui y enfermait toujours au moins une de ses filles. Carmel de l'ordre de Ste Therèse d'Avila, ce monastère vivait dans une discipline extrêmement rigoureuse, où les soeurs n'avaient que des communications indirectes avec l'extérieur et d'où, une fois entré, on ne ressortait jamais.
Faut pas croire que Sainte Therèse rigolait tout le temps !

Mais, pour une famille noble, il était un grand honneur d'avoir une carmélite dans sa famille et chacune payait cher pour faire accepter une enfant ici. Le couvent recevait de nombreux cadeaux, en plus de la "dot" de chaque soeur. Le bâtiment reflète bien la prospérité qu'était alors celle de cette ville, aussi importante au 17ème que Paris ou Londres. Si, si...


Pommier, le plus vieux du pays : 350 ans. Il était en fleurs...

Sainte Therèse donc... qui, ici ,effectivement, ne rigole pas non plus.
Cette couleur bleue conserve, à ce qui paraît, particulièrement bien le bois du soleil...

Un tableau représentant la bataille de Lépante, en Turquie, le 7 octobre 1571...

et, en détail, qui voilà ? Le capitaine Miguel de Cervantès, qui écrira plus tard Don Quichotte.
Y'a pas de hasard ?
On se demande qui a pu ouvrir des cadeaux comme celui en bas à gauche... Encore des collectionneurs, Sab ?

Deuxième monument important à Potosì, la Casa de la Moneda, où était fondu l'argent ramené des mines et frappés les doublons espagnols.


Le palais est joli, reflétant là encore ce que fût la richesse de la ville.
Il conserve, entre autres, ce tableau, oeuvre la plus célèbre ici, la Virgen del Cerro.
Cette vierge incarnant la "montagne riche" représente bien le syncrétisme religieux qui a eu lieu ici, en intégrant dans la même oeuvre les symboliques chrétiennes et indiennes (le Soleil, la Lune, la Montagne l'Inca...).





Un énorme (c'est peu dire, vu la taille de Sophie derrière ) bloc de Bolivianite (ou Amétrine) qui ne se trouve qu'ici...d'où son nom !


C'est donc dans ces murs que furent frappées pendant deux ou trois siècles les pièces espagnoles.
L'argent était d'abord fondu en lingot...

... puis laminé dans ces énormes machines qui avaient été importés d'Espagne...



... avant d'être "frappé", au début à la main puis dans des presses mécaniques.

Ironie du sort, aujourd'hui, faute de capacités technologiques, les Boliviens ne peuvent plus frapper leur monnaie eux-même. Les "bolivianos" sont maintenant fabriqués ... en Espagne !
Enfin, en plus de la monnaie, étaient fabriqués ici divers objets en argent, dont la fameuse petite cuillère...
... la petite cuillère en argent, accessoire bien connu d'une certaine classe de dirigeants qui aujourd'hui s'en prennent à nos écoles et nos acquis sociaux au prétexte de réalisme budgétaire alors qu'ils arrivent à trouver plusieurs milliards, sans aucune contrepartie, pour éponger les conneries de leurs pairs.
Heureusement qu'aujourd'hui l'argent se fabrique (ou disparaît) à la bourse, sinon ils auraient été capables de nous renvoyer à la mine !
***

Et puisque nous parlons d'argent et de crise économique mondiale, voici des liens pour aller télécharger (ou écouter directement...) trois émissions de radio en MP 3.
Il s'agit de trois numéros de l'excellente émission de Daniel Mermet " Là-bas si j'y suis " sur France Inter.

Elles sont consacrées à des entretiens avec l'économiste Fréderic Lordon (qui est aussi un collaborateur du Monde Diplomatique) pour essayer d'expliquer les mécanismes de la crise et comment on en est arrivé là.
Ces trois émissions sont extrêmement édifiantes, pédagogiques, étonnemment claires et, à notre avis, indispensables pour comprendre ce qui se passe actuellement ...

Trois heures agréables ( et d'autant plus quand on est des journées entières dans des bus sud-américains... ) et pourtant, le sujet de départ est très aride.
Et même pas besoin d'être un spécialiste pour suivre... Un vrai travail d'Education Populaire !

http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1510


http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1555


http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1539

Bonnes écoutes, Auditeurs Modestes et Géniaux !

1 commentaire:

  1. Coucou!

    Pour utiliser une expression bien de chez nous, c'est monstre bien de voir vos photos et de se rendre compte qu'on a visité exactement la même mine à Potosi, vu un mineur faire son trou au même endroit, pris des photos de l'amiante comme vous... On a l'impression de revivre notre visite!
    Courage vous alez bien réussir à rattraper votre retard! Le plus important c'est de profiter!! On se réjouit de voir le prochain article;o)
    Gros besos du Mexique!!

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